jeudi 20 mai 2010

Le Qohéleth — Et Dieu dans tout ça ?




Ecclésiaste 1:13 : J’ai appliqué mon cœur à rechercher et à sonder par la sagesse tout ce qui se fait sous les cieux : c’est là une occupation pénible, à laquelle Dieu soumet les fils de l’homme.


(c) Ponts Formation Edition

On a parlé (la dernière fois) de la sagesse comme d'un entre-deux. Approche plutôt classique, donc, correspondant assez bien à ce qui est appelé parfois « juste milieu ».

La vérité est ailleurs... en Dieu. Reste à approcher la façon dont on entend cela... (Ci-dessous, les versets du Qohéleth où apparaît le mot "Dieu" - "Elohim" : le tétragramme n'apparaît pas.)

Dieu est-il une sorte de théière céleste ?

« Si je suggérais qu'entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire pour peu que j'aie pris la précaution de préciser que la théière est trop petite pour être détectée par nos plus puissants télescopes. Mais si j'affirmais que, comme ma proposition ne peut être réfutée, il n'est pas tolérable pour la raison humaine d'en douter, on me considérerait aussitôt comme un illuminé. Cependant, si l'existence de cette théière était décrite dans d'anciens livres, enseignée comme une vérité sacrée tous les dimanches et inculquée aux enfants à l'école, alors toute hésitation à croire en son existence deviendrait un signe d'excentricité et vaudrait au sceptique les soins d'un psychiatre à une époque éclairée ou de l'Inquisition en des temps plus anciens. » (Bertrand Russell, Is There a God? — cité par Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, éd, Robert Laffont, 2008, p. 60-61.)

Dieu comme super-créature ! Problème : les choses ne se posent pas en ces termes.

Sauf à donner raison à Woody Allen, disant : «Non seulement Dieu n’existe pas mais en plus il est impossible de trouver un plombier le dimanche.»

La mise en question de Dieu comme super-théière céleste ou comme plombier du dimanche est déjà le fait de l'Ecclésiaste.


On a déjà vu que pour l'Ecclésiaste, la référence à Dieu n'a pas de rapport avec un prolongement post-mortem de l'existence. Ni n'est propre à fonder une religion foisonnante ou ostentatoire, que ce soit en termes de sacrifices ou d'explications (ne pas se hâter d'exprimer une parole devant Dieu, écouter plutôt qu'offrir le sacrifice des insensés, etc. Cf. ch. 5).

Voilà qui donne une orientation sur ce qui se dévoile à la lecture du texte : « Dieu » désigne le fondement de ce qui nous advient comme ne dépendant, ultimement, pas de nous.

Une connaissance propre à fonder le bonheur, puisque c'est de cela qu'il s'agit...


Ecclésiaste 2 :

2:24 Il n’y a de bonheur pour l’homme qu’à manger et à boire, et à faire jouir son âme du bien-être, au milieu de son travail ; mais j’ai vu que cela aussi vient de la main de Dieu.

2:26 Car il donne à l’homme qui lui est agréable la sagesse, la science et la joie ; mais il donne au pécheur le soin de recueillir et d’amasser, afin de donner à celui qui est agréable à Dieu. C’est encore là une vanité et la poursuite du vent.


« Dieu » désigne alors le fait que ce qui nous advient ne trouve pas sa source ultime en nous, non seulement quant à la matérialité, « le manger et le boire », mais aussi quant à la faculté et à la disposition d'en jouir...

C'est là un « don de Dieu »... Où Dieu apparaît aussi comme Père (cf. Matthieu 5-7 et les oiseaux du ciel, les bons et les méchants : « votre Père céleste les nourrit »).


Ecclésiaste 3 :

3:10 J’ai vu à quelle occupation Dieu soumet les fils de l’homme.
3:11 Il fait toute chose bonne en son temps ; même il a mis dans leur cœur la pensée de l’éternité, bien que l’homme ne puisse pas saisir l’œuvre que Dieu fait, du commencement jusqu’à la fin.

3:13 si un homme mange et boit et jouit du bien-être au milieu de tout son travail, c’est là un don de Dieu.
3:14 J’ai reconnu que tout ce que Dieu fait durera toujours, qu’il n’y a rien à y ajouter et rien à en retrancher, et que Dieu agit ainsi afin qu’on le craigne.
3:15 Ce qui est a déjà été, et ce qui sera a déjà été, et Dieu ramène ce qui est passé.

3:17 J’ai dit en mon cœur : Dieu jugera le juste et le méchant ; car il y a là un temps pour toute chose et pour toute œuvre.
3:18 J’ai dit en mon cœur, au sujet des fils de l’homme, que Dieu les éprouverait, et qu’eux-mêmes verraient qu’ils ne sont que des bêtes.


Le fait que tout soit don de Dieu invite à « la crainte », qui est en son versant négatif, l'admission de la possibilité que ce qui est don ne soit pas, ou n'ait pas été octroyé — et en son versant positif, la reconnaissance, tout simplement, la reconnaissance de ce que matérialité comme condition du bonheur, jusqu'à la disposition pour le recevoir, ne viennent, ultimement, pas de nous.

Et là, cela compris, le bonheur est déjà là, comme reconnaissance et fruit de la reconnaissance !

Il s'agit de l'étonnement reconnaissant, jusqu'à l'émerveillement de l'événement unique de la venue de l'être sous le soleil, de la venue d'une pensée sous le soleil, fût-elle un éclair dans une nuit infinie — et sachant en outre qu'elle est aussi tissée de douleur. Le moment unique de la percée de l'être sous la soleil, moment de vanité, n'en est pas moins l'occasion de tout bonheur, source de toute reconnaissance à Dieu qui l'a fait advenir comme don.

Reconnaissance !

C'est là le culte de Dieu tel qu'il est requis !


Ecclésiaste 5 :

5:1 (4–17) Prends garde à ton pied, lorsque tu entres dans la maison de Dieu ; approche-toi pour écouter, plutôt que pour offrir le sacrifice des insensés, car ils ne savent pas qu’ils font mal.
5:2 (5–1) Ne te presse pas d’ouvrir la bouche, et que ton cœur ne se hâte pas d’exprimer une parole devant Dieu ; car Dieu est au ciel, et toi sur la terre : que tes paroles soient donc peu nombreuses.

5:4 (5–3) Lorsque tu as fait un vœu à Dieu, ne tarde pas à l’accomplir, car il n’aime pas les insensés : accomplis le vœu que tu as fait.

5:6 (5–5) Ne permets pas à ta bouche de faire pécher ta chair, et ne dis pas en présence de l’envoyé que c’est une inadvertance. Pourquoi Dieu s’irriterait-il de tes paroles, et détruirait-il l’ouvrage de tes mains ?
5:7 (5–6) Car, s’il y a des vanités dans la multitude des songes, il y en a aussi dans beaucoup de paroles ; c’est pourquoi, crains Dieu.

5:18 (5–17) Voici ce que j’ai vu : c’est pour l’homme une chose bonne et belle de manger et de boire, et de jouir du bien-être au milieu de tout le travail qu’il fait sous le soleil, pendant le nombre des jours de vie que Dieu lui a donnés ; car c’est là sa part.
5:19 (5–18) Mais, si Dieu a donné à un homme des richesses et des biens, s’il l’a rendu maître d’en manger, d’en prendre sa part, et de se réjouir au milieu de son travail, c’est là un don de Dieu.
5:20 (5–19) Car il ne se souviendra pas beaucoup des jours de sa vie, parce que Dieu répand la joie dans son cœur.


Voilà qui rejoint, et précède Nietzsche :

«… Si notre âme a, comme une corde, une seule fois tressailli et résonné de bonheur […,] l'éternité tout entière était, dans cet instant unique de notre acquiescement, saluée, rachetée, justifiée et affirmée.» (Nietzsche, La Volonté de puissance, § 1032.)


Avec chez l'Ecclésiaste, cette conscience permanente de la condition qui permet en tout temps la perception de ce rachat : la conscience du don de Dieu


Ecclésiaste 6:2 : Il y a tel homme à qui Dieu a donné des richesses, des biens, et de la gloire, et qui ne manque pour son âme de rien de ce qu’il désire, mais que Dieu ne laisse pas maître d’en jouir, car c’est un étranger qui en jouira. C’est là une vanité et un mal grave.

« Correctif » de cette vanité, qui reste vanité quoiqu'il en soit : la conscience du don de Dieu, à savoir « la crainte de Dieu ».


Ecclésiaste 7 :

7:13 Regarde l’œuvre de Dieu : qui pourra redresser ce qu’il a courbé ?
7:14 Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, réfléchis : Dieu a fait l’un comme l’autre, afin que l’homme ne découvre en rien ce qui sera après lui.

7:18 Il est bon que tu retiennes ceci, et que tu ne négliges point cela ; car celui qui craint Dieu échappe à toutes ces choses.
7:26 Et j’ai trouvé plus amère que la mort la femme dont le cœur est un piège et un filet, et dont les mains sont des liens ; celui qui est agréable à Dieu lui échappe, mais le pécheur est pris par elle.


Cf. Cioran : «On rencontre la Subtilité :
chez les théologiens […] ;
chez les oisifs […] ;
chez les persécutés […] ;
chez les femmes. Condamnées à la pudeur, elles doivent camoufler leurs désirs, et mentir : le mensonge est une forme de talent, alors que le respect de la "vérité" va de pair avec la grossièreté et la lourdeur.[…]» (Syllogismes de l'amertume, p.760, in Œuvres, coll. Quarto, éd. Gallimard, 1995)

Ecclésiaste 7:29 : « voici ce que j’ai trouvé, c’est que Dieu a fait les hommes droits ; mais ils ont cherché beaucoup de détours. »


Ecclésiaste 8 & 9 :

8:2 Je te dis : Observe les ordres du roi, et cela à cause du serment fait à Dieu.

8:12 Cependant, quoique le pécheur fasse cent fois le mal et qu’il y persévère longtemps, je sais aussi que le bonheur est pour ceux qui craignent Dieu, parce qu’ils ont de la crainte devant lui.
8:13 Mais le bonheur n’est pas pour le méchant, et il ne prolongera point ses jours, pas plus que l’ombre, parce qu’il n’a pas de la crainte devant Dieu.

8:15 J’ai donc loué la joie, parce qu’il n’y a de bonheur pour l’homme sous le soleil qu’à manger et à boire et à se réjouir ; c’est là ce qui doit l’accompagner au milieu de son travail, pendant les jours de vie que Dieu lui donne sous le soleil.

8:17 j’ai vu toute l’œuvre de Dieu, j’ai vu que l’homme ne peut pas trouver ce qui se fait sous le soleil ; il a beau se fatiguer à chercher, il ne trouve pas ; et même si le sage veut connaître, il ne peut pas trouver.


9:1 Oui, j’ai appliqué mon cœur à tout cela, j’ai fait de tout cela l’objet de mon examen, et j’ai vu que les justes et les sages, et leurs travaux, sont dans la main de Dieu, et l’amour aussi bien que la haine ; les hommes ne savent rien : tout est devant eux.

9:7 Va, mange avec joie ton pain, et bois gaiement ton vin ; car dès longtemps Dieu prend plaisir à ce que tu fais.

9:9 Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, pendant tous les jours de ta vie de vanité, que Dieu t’a donnés sous le soleil, pendant tous les jours de ta vanité ; car c’est ta part dans la vie, au milieu de ton travail que tu fais sous le soleil.



Ecclésiaste 11 :

11:5 Comme tu ne sais pas quel est le chemin du vent, ni comment se forment les os dans le ventre de la femme enceinte, tu ne connais pas non plus l’œuvre de Dieu qui fait tout.

11:9 (12–1) Jeune homme, réjouis-toi dans ta jeunesse, livre ton cœur à la joie pendant les jours de ta jeunesse, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux ; et sache que pour tout cela Dieu t’appellera en jugement.


« Sache que pour tout cela Dieu t’appellera en jugement » : pas de « mais » (« mais sache » ?!) en hébreu ! Le jugement n'est pas tant le prix de la joie que la mesure de la joie que l'on a reçue ! C'est aujourd'hui qu'il s'agit de cueillir la joie avant que ne tombe le jour où la matérialité, les conditions ou les dispositions ne sont plus là pour l'accueillir !... « Au jour où tremblent les gardiens de la maison, où se courbent les hommes vigoureux, où s'arrêtent celles qui meulent, trop peu nombreuses, où perdent leur éclat celles qui regardent par la fenêtre »... (ch, 12, v. 3 sq.)...

"C'est une sale histoire de vieillir et je vous conseille de l'éviter si vous pouvez ! Vieillir ne présente aucun avantage. On ne devient pas plus sage, mais on a mal au dos, on ne voit plus très bien, on a besoin d’un appareil auditif pour entendre. Je vous déconseille de vieillir." (Woody Allen, Cannes, mai 2010.)


Ecclésiaste 12 :

12:7 (12–9) avant que la poussière retourne à la terre, comme elle y était, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné.

12:13 (12–15) Écoutons la fin du discours: Crains Dieu et observe ses commandements. C’est là ce que doit faire tout homme.
12:14 (12–16) Car Dieu amènera toute œuvre en jugement, au sujet de tout ce qui est caché, soit bien, soit mal.






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