samedi 20 novembre 2010

Luthériens et réformés - de la rupture à l’union




Résoudre un dissensus de près de cinq siècles, tel est le moment qui nous est offert. Restons modestes, nous ne sommes pas les premiers. Et gardons le sens de la mesure : luthériens et réformés français restons minoritaires en regard des luthériens et réformés dans le reste du monde !

Il n’empêche : nous voilà partie prenante d’un mouvement — osons le mot — prophétique d’une belle portée. Depuis l’échec de 1529, au colloque de Marbourg, où Luther et Zwingli ne parvenaient pas à s’accorder, les tentatives de réconciliation n’ont pas manqué et voilà que s’ouvre un réel espoir d’y parvenir.

La division part de ce désaccord initial sur la Cène à Marbourg en 1529, désaccord qui cause immédiatement le sentiment de la nécessité de le résoudre. Mais on ne sait pas encore comment. On est certainement au fait que le dissensus repose sur les arrière-plans philosophiques respectifs des deux camps, à partir desquels on exprime sa compréhension de la façon dont se signifie la présence du Christ à l’occasion de la Cène. On ne sait pas comment s’en distancier. On s’est accordé pour ne pas lier cette compréhension à la philosophie d’Aristote qui fonde la théorie de la transsubstantiation, on ne s’accorde pas sur une alternative commune.

Pourtant, déjà un an après Marbourg, en 1530, la Confession d’Augsbourg, qui symbolise la foi luthérienne jusqu’aujourd’hui, exprime pour partie la volonté de résoudre le dissensus initial. C’est un des soucis de son rédacteur, Melanchthon, qui poussant dans le sens de ce souci, produira en nouvelle version, en 1540, que Calvin signera. C’est la première mouture, celle de 1530 qui s’imposera, ratifiée par le réformé Théodore de Bèze, qui l'inclut dans son Harmonie des confessions de foi.

Tandis qu’un peu plus de trente ans après, en 1561, au colloque de Poissy, la même Confession d’Augsbourg sera à nouveau pressentie parmi les bases pour une réconciliation en France… entre catholiques et protestants !

Calvin, dans son Petit traité de la sainte Cène, montre d’une autre façon le même souci concernant la Cène : « nous avons à confesser, écrit-il, que si la représentation que Dieu nous fait en la Cène est véritable, la substance intérieure du sacrement est conjointe avec les signes visibles ; [...] si avons-nous bien manière de nous contenter, quand nous entendons que Jésus-Christ nous donne en la Cène la propre substance de son corps et de son sang, afin que nous le possédions pleinement, et, le possédant, ayons compagnie à tous ses biens. [...] Or nous ne saurions avoir aiguillon pour nous poindre plus au vif, que quand il nous fait, par manière de dire, voir à l'œil, toucher à la main, et sentir évidemment un bien tant inestimable : c'est de nous repaître de sa propre substance. »

Les mots sont forts — on est loin d’un vague symbolisme —, au point qu’ils ont pu fonder la légende selon laquelle Luther tombant sur le traité de Calvin se serait exclamé : « Ah, si Zwingli l’avait dit comme ça ! »

Mais les soubassements philosophiques qui sont derrière les interprétations respectives du mode de la présence du Christ à la Cène sont alors décidément trop immédiatement présents ! C’est le temps qui opérera la prise de distance des esprits par rapports aux philosophies ambiantes alors trop prégnantes : Aristote, Platon, l’empirisme, etc.

La division sur la compréhension de la Cène perdurera jusqu’en… 1973, avec la Concorde de Leuenberg…

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Entre temps, suite au colloque de 1529, et l’union ne s’étant pas faite par la suite, la dérive des ecclésiologies s’est fait jour et s’est accentuée.

Une Église, une organisation d’Église, n’apparaît pas ex-nihilo. Voilà qui permet de relativiser ce qu’on serait tenté de recevoir comme immuable, voire révélé !

Car cela vaut pour bien des aspects de notre vie d’Église. Prenons nos prédicateurs laïcs. Savons-nous toujours que cette institution typiquement réformée n’existait pas au XVIe siècle, et qu’elle doit beaucoup à notre influence méthodiste, postérieure au XVIIIe siècle donc — concrètement, en France, au XIXe ? Prenons notre liturgie, traditionnellement réputée typiquement réformée et remontant au XVIe siècle, mais largement héritée de l’anglicanisme via la liturgie mise en place au XIXe siècle par Eugène Bersier.

Prenons, plus anecdotique, la gestuelle, qui elle aussi s’est développée dans le temps — comme l’abandon du signe de la croix, par exemple, acquis désormais pour les réformés et les évangéliques, mais aussi pour nombre de luthériens : on ne sait pas exactement dater cet abandon. Une tradition veut que la légitime crainte des superstitions en soit à l’origine. Remarquez, quand des pratiques populaires voulaient que le signe de croix porte bonheur au point que le faire à l’envers ait été utilisé pour faire mourir les vaches des voisins, on a un argument fort, incontestablement, en faveur de son abandon !

Autre hypothèse à ce sujet, que je ne peux m’empêcher de considérer comme vraisemblable puisque l’abandon du signe de la croix viendrait, à l’origine, du Languedoc : la mémoire cathare, celle de la persécution. Les cathares bannissant le signe de la croix comme superstitieux, et obligés par les persécuteurs de se faire discrets, et donc de se signer quand même, proposaient des interprétations variées du geste, comme celle du cathare Pierre Authié : voici le front, voici la barbe voici une oreille et en voici une autre… jusqu’à ce qu’ils puissent enfin se passer du geste rendu obligatoire par la persécution (utile toutefois, concède-t-il, pour chasser les mouches de son visage en été). Voilà quoiqu’il en soit qui relativise l’importance d’un geste ou de son refus…

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Nous voilà aujourd’hui inscrits dans l’histoire, une histoire en marche, blessée mais dans l’espérance de la guérison comme don du Christ. Nous voilà selon cette espérance, acteurs et témoins, à notre échelle, d’un signe de réconciliation.

Pour cela, revenons donc à la question qui concerne plus directement nos débats, notre organisation d’Église.

… On ne le sait pas toujours, mais dans les premières décennies de la réforme, on aurait facilement pu confondre une ecclésiologie luthérienne et une ecclésiologie réformée.

Sait-on toujours que la Confession de foi de la Rochelle de 1559, fondatrice dans la tradition réformée en France, connaît l’existence de « Superintendants » (c’est le mot — à l’article 32), qui ressemblent tout de même fort aux inspecteurs ecclésiastiques luthériens.

Sait-on toujours qu’en parallèle, la mise en place de la structure luthérienne doit fort peu à Luther lui-même, qui s’est très peu mêlé d’organisation, chose qu’il a remise aux princes, organisant la structure de l’Église sans doute même contre ce qu’il aurait souhaité ? — Il insiste beaucoup pour sa part sur la réalité de l’Église locale comme communauté, au point que les congrégationalistes anglais, par la suite, se réclameront souvent de lui !

Sait-on par ailleurs que Calvin écrivant au roi Édouard VI d’Angleterre ne remet pas en question l’institution des évêques, espérant une Église anglicane réformée mais ne bouleversant pas pour autant sa structure ? Un véritable pragmatisme chez Calvin comme chez Luther, éventuellement contre leur propre souhait en matière d’ecclésiologie.

L’un comme l’autre opteraient sans doute, pour d’autres temps, pour une autre organisation. Comme celle, par exemple, que le luthérien Bucer initie à Strasbourg, ville libre et donc plus propre à une organisation de l’Église plus autonome par rapport à l’État, où Calvin empruntera ses quatre ministères qui deviendront une base du futur système presbytérien synodal, qui doit donc beaucoup à un luthérien !

Le système presbytérien synodal — dont les éléments précurseurs lointains sont posés d’une certaine façon dans la luthérienne Strasbourg (ayant adopté la confession d’Augsbourg) de Bucer puis dans la Genève de l’ex-Strasbourgeois Calvin — va donc peu à peu se mettre en place dans la tradition réformée, notamment via l’Écosse, sous l’influence de John Knox.

À l’époque, les réformés français auraient peut-être eu de la peine à se reconnaître dans cette organisation, pour ne rien dire de notre organisation actuelle, qui doit en outre beaucoup à la loi de 1905 sur les associations cultuelles…

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Quatre siècles et demi après le colloque de Marbourg de 1529, en 1973, à Leuenberg, réformés et luthériens (notamment) ont pris acte concernant la Cène de ce que les vocables conditionnés par la philosophie dont le temps a permis la mise à distance traduisent une foi commune, prise de conscience scellée dans une Concorde, qui nous permet aujourd’hui de franchir un pas de plus : l’union.

Pour cela, il est question d’organisation — on vient de voir sommairement que les organisations aussi s’inscrivent dans l’histoire, dans le cadre des dérives de traditions séparées. Choses relatives aux temps et aux moments. Et comme dit l’Ecclésiaste (3, 7), « Un temps pour déchirer, un temps pour coudre ». C’est, à notre humble échelle, ce temps qui est le nôtre, et ça c’est, comme dit aussi l’Ecclésiaste parlant de tout bonheur, « un don de Dieu » (3, 13). C’est une véritable grâce qui nous est octroyée, que d’être les acteurs d’une histoire en train de se construire, pour un signe de réconciliation cette fois. Ce que nous faisons est déjà ainsi dans l’histoire au même titre que les manuels d’histoire de l’Église parlent du colloque de Marbourg, mais cette fois c’est pour la réconciliation. C’est « le temps pour coudre » qui nous est donné.

Nous allons donc passer à présents aux aspects pratiques de ce travail de couture…

RP
Synode régional ERF PACCA,
Grasse 19-21 nov. 2010


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