jeudi 25 novembre 2010

Paul et l’Alliance universelle. Vers les nations





L’événement fondateur, celui de la manifestation du Crucifié ressuscité, du Ressuscité advenant au cœur de nos vies individuelles rejointes jusque dans la mort — qu’il a vécue et fait ainsi advenir en nous avant même la mort — ; le jaillissement de la nouveauté radicale de la résurrection fait éclater les cadres identitaires quant à leurs prétentions structurantes.

Galates 3, 28 :
Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ.

Dès lors l’Alliance scellée dans la tradition juive est ouverte à son universalité, dévoilée et étendue aux nations.

Cela vaut du cultuel au moral et au culturel. La portée symbolique des traditions et des rites qui portent la parole qui s’y transmet, se dévoile comme symbolique. La vérité qu’ils visent ne s’y scelle pas.

1 Corinthiens 3, 19-22
19 La sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Car il est écrit : Il prend les sages à leur propre ruse.
20 Et encore : Le Seigneur connaît les raisonnements des sages, il sait qu'ils sont futiles.
21 Ainsi, que personne ne fonde son orgueil sur des hommes, car tout est à vous :
22 Paul, Apollos, ou Céphas, le monde, la vie ou la mort, le présent ou l'avenir, tout est à vous […].


*

Les conséquences considérables, déjà au temps de Paul, qui auront tendance à être enfouies, valent jusqu’à nos jours. Pour ne donner qu’un exemple d’actualité criante, le mot « culture », ou civilisation, dans une perspective paulinienne, n’a pas lieu de se conjuguer au pluriel.

Il y a « la culture », culture universelle, qui se reçoit dans le cadre de coutumes particulières : « Paul, Apollos, ou Céphas, le monde, la vie ou la mort, le présent ou l'avenir, tout est à vous » (1 Co 3, 22) — et on peut y ajouter tout ce qu’on veut.

Il y a fort à gager que Paul récuserait deux ouvrages à la mode — l’un mondial et un peu daté désormais : « le choc des civilisations » ; l’autre plus récent et à la mode en France : « Le déni des cultures ». Titre que la théologie paulinienne contraint évidemment à récuser, sachant qu’il n’y a pas lieu de dénier ce qui n’est pas advenu !

Cela se vérifie en outre pour peu que l’on observe le fait que les coutumes sont mouvantes et s’enrichissent ou se corrigent les unes par les autres — et c’est cela même qui fait la culture. Ne dit-on pas, d’ailleurs, « être cultivé » pour parler précisément de l’ouverture aux richesses culturelles diverses ? Se cantonner à un « type culturel », ou pour mieux dire à une tradition, est précisément refuser d’être cultivé, refuser la culture. Où l’on peut élargir à l’envi le propos paulinien : « Paul, Apollos, ou Céphas, le monde, la vie ou la mort, le présent ou l'avenir, tout est à vous » (1 Co 3, 22), sachant — c’est la parole qui suit (v. 23) — que « vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu. »

Une parole qui n’est pas la réintroduction d’une restriction, mais le rappel du cadre d’éclatement qu’est l’événement initial : Christ, à savoir le Crucifié-ressuscité, parole qui dévoile que toutes les coutumes sont transcendées dans l’ultime : « Christ est à Dieu ».

Pour situer la dimension concrète de la problématique, en regard de l’usage qui est souvent fait de Paul, une réflexion d’Alain Badiou (Saint Paul, La fondation de l’universalisme, PUF 1997) : Badiou décèle chez Paul de quoi transcender les différences, coutumes et opinions, en les saisissant du « travail postévénementiel d’une vérité » (en l’occurrence de la crucifixion-résurrection)… « Mais, remarque Badiou, pour les en saisir encore faut-il que l’universalité ne se présente pas elle-même sous les traits d’une particularité » (p. 106).

« Bien entendu, note-t-il aussi, les fidèles des noyaux chrétiens ne cessent de lui demander ce qu’il faut penser de la tenue de femmes, des rapports sexuels, des nourritures permises ou interdites, du calendrier, de l’astrologie, etc. Car il est de la nature de l’animal humain, défini par des réseaux de différences, d’aimer poser ce genre de questions, voire de penser qu’il n’y a qu’elles qui sont vraiment essentielles » (p. 107).

*

Or, « il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. »

Cela ne revient pas à nier que les événements adviennent dans le concret des traditions qui les véhiculent en premier. C’est dans la tradition juive que l’événement fondateur est advenu. Cela a aussi des conséquences quant au déploiement libérateur : « l’Evangile est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif premièrement, puis du Grec » (Romains 1, 16).

Le fondement originel reste un fait incontournable, ancré dans l’histoire, et cela d’autant plus qu’il est libération advenue dans le temps, dans l’histoire donc.

Le fondement originel ne scelle pas pour autant la rupture qu’il initie. D’où la relativisation des rites, des coutumes religieuses, culturelles ou autres, d’où l’appel à leur correction et à leur enrichissement réciproque.

D’où l’illégitimité de fixer par la suite un rite chrétien donné qui aurait valeur universelle ! Le rite même est relativisé par ce qu’il porte — non pas délégitimé, mais mis à distance, à commencer par le rite originel, juif, précisément puisqu’il est donné en premier.

Pour Paul et pour tous ceux qui en reçoivent la parole, qui en reçoivent l’Evangile, désormais l’événement fondateur de la création nouvelle, la crucifixion-résurrection du Christ, donne à accomplir la promesse prophétique d’un royaume universel (que la suite des temps sera tentée en permanence d’identifier à tel empire temporel et au véhicule de ses coutumes).

« Christ en vous, l’espérance de la gloire » (Colossiens 1, 27).




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