mardi 19 novembre 2013

Les Psaumes – prières communes et lutte avec Dieu



« Le livre des Psaumes a été ainsi dénommé en raison d’une traduction trop littérale du grec Biblos Psalmôn et du latin Liber Psalmorum. En grec, psalmos désigne un air joué sur l’instrument à cordes appelé psaltérion. Ainsi les versions ont-elles donné au contenu du recueil dont nous parlons un nom évoquant la manière dont ses éléments peuvent être chantés, plutôt que la nature même de ceux-ci. L’hébreu, lui, dit Tehilîm, mot qui dérive de la racine hll, louanger ; d’où le titre que nous avons adopté : Louanges, mot splendide, mot rempli d’un contenu émotionnel certain, bien fait pour désigner des poèmes tout orientés vers la louange de IHVH-Adonaï » (A. Chouraqui).

Un recueil liturgique communautaire — compilant sans doute d’autres recueils —, chanté, utilisé depuis des millénaires par les juifs et les chrétiens, même chez les plus réservés parmi ces derniers à l’égard de l’usage de la musique :

« Ambroise de Milan est dans une église avec ses fidèles, à la tête d’une manifestation contre la volonté impériale d’en faire un lieu de culte arien. Augustin relate cet événement capital pour l'histoire de la musique (Confessions IX, livre VII) : "Le peuple plein de zèle, résolut de mourir pour son évêque, passait les nuits entières à l'église. Pour empêcher que le peuple ne s'ennuyât d'un si long et pénible travail, on ordonna qu'on chanterait des psaumes et des hymnes selon l'usage de l'Eglise d'Orient". Quelques années avant, des œuvres poétiques versifiées en langue vernaculaire, pourvues d'une mélodie syllabique (une note par syllabe) identique pour toutes les strophes, les hymnes étaient utilisées à Poitiers par Hilaire, depuis son retour d'exil oriental (vers 356). »

Autant de reprises de traditions antécédentes qui (en un temps où les modifications diverses ne sont pas aussi prisées que de nos jours) permettent de considérer que le type de mélodies qui évoluent du chant grégorien aux premiers chants polyphoniques de la Renaissance ne sont peut-être pas si éloignées de ce qu’il en est dans le judaïsme antique héritier des liturgies du Premier Temple de Jérusalem…

On a nommé le chant ambrosien (ou ambroisien), « nom sous lequel on désigne une sorte de plain-chant dont Ambroise fut l'auteur, en 386. Ce chant se divisait en chant rythmique ou psalmodique, et en chant métrique (Jumilhac). "St Ambroise adopta le genre chromatique, c'est-à-dire l'altération de certaines notes, comme l'ont enseigné plus tard les didacticiens du Moyen âge en parlant de la musique feinte ou colorée. Deux différences radicales existaient entre le chant d’Ambroise et celui de Grégoire. Dans l'un, abandon complet des règles de l'accentuation latine et adoption du genre diatonique; dans l'autre, genre chromatique, rythme, accentuation. Dans l'un, musique grave, sévère, adaptée aux durs gosiers des barbares du nord qui se convertissaient au catholicisme; dans l'autre, un art plus grec, plus souple, plus élégant, quelque chose de moins austère et de moins âpre." (Théodore Nisard) Ambroise emprunta aux Grecs leurs quatre modes principaux : le dorien, le phrygien, le lydien et le mixolydien; ces modes, nommés depuis authentiques ou impairs, sont le 1er, le 3e, le 5e et le 7e du plain-chant grégorien. Il adopta aussi le chant alternatif ou antiphonique, usité chez les Orientaux, et dont l'emploi se répandit ensuite dans l'Église latine. »

« Le chant grégorien, nommé aussi plain-chant ou chant romain, est le chant ecclésiastique en usage dans presque toutes les églises de l'Occident. Il fut réglé à la fin du VIe siècle par l’évêque de Rome Grégoire le Grand, qui, aux quatre modes authentiques établis par Ambroise, et formant la base du chant ambrosien, ajouta les quatre modes plagaux. »

Auparavant, « sources indirectes, les condamnations des gnostiques par les Pères de l'Eglise fournissent quelques indications sur leurs pratiques liturgiques. Critiquant Marcion, Hippolyte de Rome (début 3e) nous apprend que l'Église de Sinope, dans le Pont (sud de la Mer Noire), effectuait la prière vers l'orient, chantait des psaumes, et des hymnes composées par les chrétiens. Le latin Tertullien dénonce "la démence avec laquelle ces textes sont rédigés" (Adversus Marcionem) et attaque violemment Valentin : "Laissons les psaumes de Valentin qu'il introduit avec une impudence sans égale, comme s'ils étaient l'œuvre d'un auteur méritant (De Carne Christi) ; "Nous désirons qu'on chante, non cette sorte de psaume des hérétiques, des apostats, de Valentin le Platonicien, mais ceux du prophète David qui sont très saints et complètement admis, classiques." »

« Les ermites des déserts égyptiens jetèrent l'anathème sur l'art utilisé pour les jeux païens, indigne à la louange de Dieu. Mais sa capacité à souder une communauté et la réticence des hauts dirigeants de l'Eglise, (les hommes les plus cultivés de leur temps), à se séparer, se priver d'un art dont ils admiraient la beauté, lui permirent de rester indissociable de la louange divine. Augustin (354-430) s'en confesse (X, 33) : "Le plaisir de l'oreille, qui ne devrait pas affaiblir la vigueur de notre esprit, me trompe souvent lorsque le sens de l'ouïe n'accompagne pas la raison ; ainsi, je pèche sans y penser." »

Bref une grande réserve dans le christianisme latin, jusqu’à Ambroise, et même après, à l’égard d’une pratique, le chant — et a fortiori l'instrumentation —, qui n’est pas sans rejoindre une réserve à l’égard des sens en temps de deuil, en temps d’ « absence de l’époux » (cf. Marc 2, 20 – //) — « un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser » (Ecc 3, 4).

Une réticence que l’on trouve — comme un paradoxe — jusqu’au cœur de livre des Psaumes :

Psaume 137
1 Sur les bords des fleuves de Babylone, Nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion.
2 Aux saules de la contrée Nous avions suspendu nos harpes.
3 Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants, Et nos oppresseurs de la joie: Chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion !
4 Comment chanterions-nous les cantiques de l’Eternel Sur une terre étrangère ?
5 Si je t’oublie, Jérusalem, Que ma droite m’oublie !
6 Que ma langue s’attache à mon palais, Si je ne me souviens de toi, Si je ne fais de Jérusalem Le principal sujet de ma joie !

Un Psaume rendu célèbre par le reggae de Bob Marley, By the rivers of Babylon, repris jusque dans des versions disco ! — où éclate de la paradoxe ! — où éclate le chant de l’exil de Sion, selon la signification transposée de la Sion historique à sa signification métaphorique désignant l’Afrique dans la tradition « ras tafarienne » (de Ras Tafari, titre du négus d’Abyssinie) de Marcus Garvey (début XXe s.) , à laquelle se rattache Bob Marley.

Un Psaume célèbre, porteur de toute la mélancolie d’un chant tu dans des harpes accrochées aux saules devenus eux-mêmes symboles de mélancolie ! « Tout penseur, au début de sa carrière, opte malgré lui pour la dialectique ou pour les saules pleureurs » (Cioran, Syllogismes de l’amertume)…

On retrouve la réserve d’Augustin pour l’effet sensoriel de la musique jusque chez Zwingli, qui se distancie de Luther — lequel opte pour l’usage des mélodies populaires pour porter la louange de Dieu. Calvin, entre les deux, est à l’origine du Psautier genevois — les Psaumes du prophète David, comme l’écrivait Tertullien plus sûr que les improvisations, à tout le moins extra-ecclésiales. Des hymnes allant au-delà des Psaumes, dans la mesure où ils entrent dans le chant liturgique commun, étant appelés à porter la théologie ecclésiale…

C’est cette perspective qui sera celle de la tradition anglaise, de l’anglicanisme au méthodisme, grand pourvoyeur d’hymnes s’ajoutant aux Psaumes dans nos recueils de cantiques modernes.

Les Psaumes sont à la racine de traditions qui en reviennent toujours à ce recueil de prières et de louanges inspirées, fondée dans des « Sitz im leben » divers que les exégètes modernes se sont attachés à dégager — suite notamment à l’un des plus marquants pour les Psaumes, H. Gunkel (début XXe s.).

En-deçà de leur devenir comme livre de prières commune, les Psaumes expriment un combat avec Dieu, et contre le mal, qui de circonstances précises nous font déboucher sur des vérités archétypales. Par exemple, le Psaume 51, prière de repentance de David suite à son adultère doublé d’un meurtre, devenant une prière-type de confession de péché. Ou, face à l’oppression d’un ennemi du peuple ou du roi, on découvre qu’il est question de l’oppression du « mauvais », du « méchant » archétypique trouvant dans les Psaumes une expression concrète.

Autant de clefs de lecture, devant Dieu, de notre vie dans ses difficultés, via des psalmistes qui nous rejoignent, qui ont partagé des difficultés de tous ordres et dont les chants les élèvent devant Dieu dans l’attente espérée de son juste jugement, justifiant le juste face à toute oppression et tout oppresseur, Dieu seul vengeur. « Je trouverais moi-même très difficile de me faire l’écho de pareils sentiments. Non parce qu’ils seraient trop bas pour moi, mais bien plutôt parce qu’ils me dépassent… Je ne parvient pas à désirer le jugement divin sans une pensée vindicative ni affirmer ma propre droiture sans orgueil » (J. Stott).

Les Psaumes deviennent alors chemin de purification de nos désirs dans l’espérance de celui qui vient faire éclater la vérité, Dieu de l’univers — c’est le parcours des cinq livres des Psaumes depuis la confrontation du mal, le mal voie de perdition alternative à la voie de celui qui est heureux (Ps 1), jusqu’à la louange finale du cinquième livre, en passant par tout le cheminement de l’attente de Dieu.


RP
Une prière qui engage

Église protestante unie de France / Poitiers
Catéchisme pour adultes 2013-2014
Chaque 3e mardi du mois à 14 h 30
& chaque jeudi qui suit le 3e mardi à 20 h 30
2) 19 & 21 novembre 2013 : Les Psaumes, face à Dieu – prières communes et lutte avec Dieu (PDF)


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